Le caricaturiste neuchâtelois Pierre Châtillon représente l'empereur allemand en Antéchrist, semeur de mort et de désolation. Guillaume II est vêtu d'une tunique d'un blanc immaculé pour mieux tromper son monde. La pointe de son casque est camouflée par une colombe, symbole de la paix depuis le récit biblique du Déluge. Mais la posture du monarque ne laisse pas de place au doute. L’empereur tient un glaive ensanglanté dans sa main droite. Au loin, des habitations brûlent, faisant écho à la torche que Guillaume brandit pour avancer.
Cette carte postale possède un format rare d’in-folio. Elle contient quatre faces. Deux sont occupées par un texte d'une «prophétie d'un moine datant de 1600» intitulée «Le démon sur la terre». Ce texte est une invention d'un mystique français, Joséphin Péladan, publié pour la première fois dans le Figaro en septembre 1914. En 1915, cette prophétie est éditée sous forme de brochure à la Chaux-de-Fonds, ville d’origine de Pierre Châtillon, connue pour son ancrage libertaire. On peut lire dans ce texte une référence directe à cette image : «On reconnaîtra l’Antéchrist à plusieurs traits : il massacrera surtout les prêtres, les moines, les femmes, les enfants et les vieillards. Il ne fera aucun merci : il passera la torche à la main, comme les Barbares, mais en invoquant le Christ.»
Cette carte postale possède un format rare d’in-folio. Elle contient quatre faces. Deux sont occupées par un texte d'une «prophétie d'un moine datant de 1600» intitulée «Le démon sur la terre». Ce texte est une invention d'un mystique français, Joséphin Péladan, publié pour la première fois dans le Figaro en septembre 1914. En 1915, cette prophétie est éditée sous forme de brochure à la Chaux-de-Fonds, ville d’origine de Pierre Châtillon, connue pour son ancrage libertaire. On peut lire dans ce texte une référence directe à cette image : «On reconnaîtra l’Antéchrist à plusieurs traits : il massacrera surtout les prêtres, les moines, les femmes, les enfants et les vieillards. Il ne fera aucun merci : il passera la torche à la main, comme les Barbares, mais en invoquant le Christ.»
Archives fédérales suisses, E5330-01, vol. 2140, Pierre Châtillon 1885, Atteinte à la neutralité, 1915.
DEMM Eberhard, « Propaganda and Caricature in the First World War », Journal of Contemporary History, vol. 28, n° 1, 1993, pp. 163-192.
GRAND-CARTERET John, Caricatures et images de guerre. Kaiser, Kronprinz & Cie, Paris, Chapelot, 1916.
PELADAN Joséphin, L'Antéchrist, prophétie sûre du moine Johannès de l'an 1600, Chaux-de-Fonds, Les fils de Mettler-Wyss, v. 1915.
DEMM Eberhard, « Propaganda and Caricature in the First World War », Journal of Contemporary History, vol. 28, n° 1, 1993, pp. 163-192.
GRAND-CARTERET John, Caricatures et images de guerre. Kaiser, Kronprinz & Cie, Paris, Chapelot, 1916.
PELADAN Joséphin, L'Antéchrist, prophétie sûre du moine Johannès de l'an 1600, Chaux-de-Fonds, Les fils de Mettler-Wyss, v. 1915.
1
Œuvre du peintre Emil Huber (1883-1943), cette carte postale est la première d’une série consacrée aux jeunes «éclaireurs au service de l'armée». Elle représente l’engagement du mouvement scout en marge de la troupe. A droite de l’image, un jeune éclaireur est descendu de son vélo. L’adolescent est quasiment au garde-à-vous. Il est vêtu de l’uniforme traditionnel (chapeau quatre-bosses en feutre, foulard, chemise kaki). Cette tenue a été initiée sur le plan international par Robert Baden-Powell, le fondateur britannique du scoutisme en 1907. L’éclaireur porte à son bras gauche un brassard helvétique, signe d’appartenance au mouvement national créé peu de temps avant la guerre (1913). A gauche de l’image, un officier tient un carnet de notes dans ses mains. Il semble sourire, apparemment satisfait de l’engagement de l’éclaireur. Le militaire est vêtu du nouvel uniforme de campagne 1914, au ton gris.
Emil Huber est un artiste très demandé dans l’espace germanophone de la Grande Guerre. Outre ses réalisations pour l’armée suisse, le peintre travaille à l’illustration d’un beau-livre consacré à l’Allemagne en guerre (Deutschland im Kriege). Publié à Zurich, cet ouvrage du journaliste allemand Gustav Eberlein, actif au sein de la Berner Tagblatt, célèbre la grandeur de l’armée allemande et la responsabilité de l’Entente dans le déclenchement du conflit. Il est intéressant de noter qu’elle est utilisée par le service allemand de propagande et diffusée auprès des pays neutres. L’exemple personnel d’Emil Huber montre que certains artistes suisses ont œuvré à une double mobilisation nationaliste, helvétique et allemande en l’occurrence. En 1915, Huber produit une série de cartes postales bâloises consacrées à « nos Feldgrauen », représentant les différents types d’armes de l’armée allemande.
Emil Huber est un artiste très demandé dans l’espace germanophone de la Grande Guerre. Outre ses réalisations pour l’armée suisse, le peintre travaille à l’illustration d’un beau-livre consacré à l’Allemagne en guerre (Deutschland im Kriege). Publié à Zurich, cet ouvrage du journaliste allemand Gustav Eberlein, actif au sein de la Berner Tagblatt, célèbre la grandeur de l’armée allemande et la responsabilité de l’Entente dans le déclenchement du conflit. Il est intéressant de noter qu’elle est utilisée par le service allemand de propagande et diffusée auprès des pays neutres. L’exemple personnel d’Emil Huber montre que certains artistes suisses ont œuvré à une double mobilisation nationaliste, helvétique et allemande en l’occurrence. En 1915, Huber produit une série de cartes postales bâloises consacrées à « nos Feldgrauen », représentant les différents types d’armes de l’armée allemande.
Cette série de cartes postales est réalisée par Emil Huber, spécialisé dans les illustrations militaires. Actif à Zurich, principalement dans l’affichage, ce St-Gallois est proche du mouvement allemand Jugendstil (Art nouveau). Il réalise de nombreuses lithographies consacrées à l’armée suisse durant la guerre, notamment une collection de cartes postales portant sur le nouvel uniforme 1914. Au début de l’année 1915, il publie également un album grand format à la gloire des soldats helvétiques. Ulrich Wille Jr., le fils du général Wille, préface cet ouvrage. Pour le major, la mobilisation de la population passe par l’armée : «Notre éducation nationale n’a pas encore fait de tout homme un soldat et de tout soldat un homme. […] De nos jours, le caractère d’un peuple ne peut plus influencer l’armée, mais l’éducation du soldat peut influencer le peuple.»
Cette carte postale s’inscrit sur une même rhétorique militariste. Fondé en Angleterre en 1907, le mouvement scout s’est installé en Suisse en octobre 1913 avec la création de la Fédération des Eclaireurs Suisses (le Fédération des Eclaireuses ne sera fondée qu’en 1919). Connaissant un grand succès dans les villes, le scoutisme cherche à inculquer des valeurs de force mentale, intellectuelle et spirituelle aux adolescents, en les faisant vivre en communauté dans la nature. Même s’il s’en défend, ce mouvement éducatif est imprégné de culture militaire, à l’instar de cet uniforme kaki, utilisé par les troupes canadiennes de l’officier Baden-Powell durant la guerre des Boers en Afrique du Sud.
Cette carte postale témoigne de l’engagement patriotique du scoutisme suisse durant la guerre. La Fédération prépare alors les jeunes au service militaire. Les différences régionales restent cependant assez marquées. Si les divisions romandes se montrent plutôt réticentes face à cette militarisation, des groupes zurichois s’engagent pleinement dans le drill et la discipline militaire.
Cette «militarisation» de la jeunesse n’est pas une nouveauté. Dès 1874, la réforme de l’armée rend l’enseignement de la gymnastique à l’école obligatoire pour les garçons, à titre de préparation militaire. En 1907, une instruction militaire préparatoire, à titre facultatif, est lancée en collaboration avec la Société fédérale de gymnastique. Sur le plan culturel, la revue illustrée Der Schweizer Kamerad est fondée à Bâle en 1915, dans l’espoir de faire concurrence aux grands titres allemands destinés à la jeunesse. Elle se destine avant tout aux mouvements scouts bâlois et zurichois. Le Conseiller fédéral Felix Calonder salue cette initiative : «Der Schweizer Kamerad correspond à un besoin urgent, car il veut libérer les sentiments et les pensées de notre jeunesse de l’influence étrangère excessive et les tourner vers notre propre patrie.» Cet intérêt pour la jeunesse fait écho aux cultures de guerre à l’œuvre dans les pays belligérants. Dans cette première guerre totale, les enfants ne sont pas épargnés par les manœuvres d’embrigadement patriotique.
Cette carte postale s’inscrit sur une même rhétorique militariste. Fondé en Angleterre en 1907, le mouvement scout s’est installé en Suisse en octobre 1913 avec la création de la Fédération des Eclaireurs Suisses (le Fédération des Eclaireuses ne sera fondée qu’en 1919). Connaissant un grand succès dans les villes, le scoutisme cherche à inculquer des valeurs de force mentale, intellectuelle et spirituelle aux adolescents, en les faisant vivre en communauté dans la nature. Même s’il s’en défend, ce mouvement éducatif est imprégné de culture militaire, à l’instar de cet uniforme kaki, utilisé par les troupes canadiennes de l’officier Baden-Powell durant la guerre des Boers en Afrique du Sud.
Cette carte postale témoigne de l’engagement patriotique du scoutisme suisse durant la guerre. La Fédération prépare alors les jeunes au service militaire. Les différences régionales restent cependant assez marquées. Si les divisions romandes se montrent plutôt réticentes face à cette militarisation, des groupes zurichois s’engagent pleinement dans le drill et la discipline militaire.
Cette «militarisation» de la jeunesse n’est pas une nouveauté. Dès 1874, la réforme de l’armée rend l’enseignement de la gymnastique à l’école obligatoire pour les garçons, à titre de préparation militaire. En 1907, une instruction militaire préparatoire, à titre facultatif, est lancée en collaboration avec la Société fédérale de gymnastique. Sur le plan culturel, la revue illustrée Der Schweizer Kamerad est fondée à Bâle en 1915, dans l’espoir de faire concurrence aux grands titres allemands destinés à la jeunesse. Elle se destine avant tout aux mouvements scouts bâlois et zurichois. Le Conseiller fédéral Felix Calonder salue cette initiative : «Der Schweizer Kamerad correspond à un besoin urgent, car il veut libérer les sentiments et les pensées de notre jeunesse de l’influence étrangère excessive et les tourner vers notre propre patrie.» Cet intérêt pour la jeunesse fait écho aux cultures de guerre à l’œuvre dans les pays belligérants. Dans cette première guerre totale, les enfants ne sont pas épargnés par les manœuvres d’embrigadement patriotique.
AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, La guerre des enfants, 1914-1918, Paris, A. Colin, 2004.
EBERLEIN Gustav, Deutschland im Kriege : Erschautes und Erlebtes, Zurich, Orell Füssli, 1916.
Exposition virtuelle de l'Historial de la Grande Guerre, «Les enfants dans la Grande Guerre».
HUBER Emil, L’armée suisse : album de 24 tableaux en couleurs, Berne, Ferd. Wyss, 1915.
PIGNOT Manon, Allons enfants de la patrie : génération Grande Guerre, Paris, Seuil, 2012.
RUHL Felix, 100 Jahre Pfadi, Basel, F. Reinhardt, 2007.
EBERLEIN Gustav, Deutschland im Kriege : Erschautes und Erlebtes, Zurich, Orell Füssli, 1916.
Exposition virtuelle de l'Historial de la Grande Guerre, «Les enfants dans la Grande Guerre».
HUBER Emil, L’armée suisse : album de 24 tableaux en couleurs, Berne, Ferd. Wyss, 1915.
PIGNOT Manon, Allons enfants de la patrie : génération Grande Guerre, Paris, Seuil, 2012.
RUHL Felix, 100 Jahre Pfadi, Basel, F. Reinhardt, 2007.
2
Cette carte postale date probablement des premiers mois du conflit. Les portraits des quatre principaux chefs de l’armée suisse sont incrustés à l’intérieur d’une croix suisse. Le général Ulrich Wille, pris de profil, occupe le centre de l’image. Il est entouré par le chef d’état-major, Theophil Sprecher von Bernegg (au-dessus de lui) ainsi que par les trois commandants de corps Alfred Audéoud, Eduard Will et Isaak Iselin (de gauche à droite). Les portraits des responsables militaires constituent un sujet extrêmement fréquent des cartes postales produites durant la guerre. Ils dépassent de loin les cartes postales consacrées aux responsables politiques. Seules quelques cartes postales de Conseillers fédéraux ou nationaux, souvent photographiés lors d’inspection de troupes, sont conservées dans le fonds de la Bibliothèque nationale.
Les portraits d’Ulrich Wille et de Theophil Sprecher restent les figures les plus représentées. Ils prennent la pose dans leur bureau de l’hôtel Bellevue, situé dans le prolongement du Palais fédéral ; inspectent, parfois à cheval, des troupes dans les villes, des manœuvres sur le terrain ; sont intégrés dans des compositions graphiques semblables à cette image (l’alliance du dessin et de la photogravure est alors toute récente pour les éditeurs de cartes). Les artistes sont également mis à contribution. En mai 1915, Ferdinand Hodler, le peintre suisse le plus célèbre de l’époque, réalise une série de cinq tableaux d’Ulrich Wille.
Sur cette carte postale, la photogravure d’Ulrich Wille dévoile le port d’une moustache en croc, dont les pointes sont très relevées, un style popularisé à l’époque par l’empereur allemand Guillaume II. Cette moustache a probablement été retouchée par l'auteur de la carte postale. Une carte postale contemporaine utilise la même prise de vue du général sur laquelle ses moustaches sont droites. L'auteur de la carte postale ci-contre a peut-être voulu renforcer la stature «prussienne» d'un général connu pour son admiration de l'armée allemande. Cette retouche est en tout cas moins anecdotique qu'il n'y paraît: le conflit de 1914 ouvre une véritable guerre d'images.
Les portraits d’Ulrich Wille et de Theophil Sprecher restent les figures les plus représentées. Ils prennent la pose dans leur bureau de l’hôtel Bellevue, situé dans le prolongement du Palais fédéral ; inspectent, parfois à cheval, des troupes dans les villes, des manœuvres sur le terrain ; sont intégrés dans des compositions graphiques semblables à cette image (l’alliance du dessin et de la photogravure est alors toute récente pour les éditeurs de cartes). Les artistes sont également mis à contribution. En mai 1915, Ferdinand Hodler, le peintre suisse le plus célèbre de l’époque, réalise une série de cinq tableaux d’Ulrich Wille.
Sur cette carte postale, la photogravure d’Ulrich Wille dévoile le port d’une moustache en croc, dont les pointes sont très relevées, un style popularisé à l’époque par l’empereur allemand Guillaume II. Cette moustache a probablement été retouchée par l'auteur de la carte postale. Une carte postale contemporaine utilise la même prise de vue du général sur laquelle ses moustaches sont droites. L'auteur de la carte postale ci-contre a peut-être voulu renforcer la stature «prussienne» d'un général connu pour son admiration de l'armée allemande. Cette retouche est en tout cas moins anecdotique qu'il n'y paraît: le conflit de 1914 ouvre une véritable guerre d'images.
Durant la guerre, en Suisse comme à l'étranger, un phénomène de culte s'installe à l'encontre des responsables militaires. La Confédération et surtout l'état-major ont tout intérêt à ce que de telles figurations charismatiques s’imposent dans l’esprit des soldats. Les cartes postales constituent alors de puissants vecteurs d'adhésion patriotique, d’autant que les mobilisés bénéficient de la gratuité de la poste.
Au tout début de la guerre, l’armée crée un Bureau de presse chargé de contrôler et de censurer l'ensemble des informations militaires circulant en Suisse. L'action du Bureau ne se limite pas à la coercition, car l'organe de censure indique aussi aux rédactions que les articles concernant l’armée helvétique sont vivement désirées «dans un but d’éducation patriotique».
Dans ses mémoires, le peintre Edmond Bille, caricaturiste de la revue L’Arbalète (1916-1917) à Lausanne, raconte que les satiristes disposaient d’un matériel plus qu’abondant pour figurer le général Wille et son adjoint Sprecher : «A l’aide de quelques photographies, d’illustrés et de cartes postales qu’une publicité bien comprise, et soigneusement entretenue, répandait à foison sur tout le territoire, nous avions constitué un dossier où chacun de nous puisait selon ses besoins et ses humeurs.» (Le carquois vide, 1939, p. 118). Un exemple de caricature est donné à l'occasion des 500 ans de la naissance de Nicolas de Flüe.
La glorification des chefs militaires se retrouve, à un degré encore plus poussé, au sein des populations belligérantes. Après la victoire allemande de Tannenberg, Hindenburg devient un véritable «mythe vivant» dont le visage est reproduit sur des centaines motifs de cartes postales. En France, les figures de Joffre (après le «miracle» de la Marne) puis de Pétain (le «vainqueur» de Verdun) acquièrent de la même façon un statut d'icônes.
Au tout début de la guerre, l’armée crée un Bureau de presse chargé de contrôler et de censurer l'ensemble des informations militaires circulant en Suisse. L'action du Bureau ne se limite pas à la coercition, car l'organe de censure indique aussi aux rédactions que les articles concernant l’armée helvétique sont vivement désirées «dans un but d’éducation patriotique».
Dans ses mémoires, le peintre Edmond Bille, caricaturiste de la revue L’Arbalète (1916-1917) à Lausanne, raconte que les satiristes disposaient d’un matériel plus qu’abondant pour figurer le général Wille et son adjoint Sprecher : «A l’aide de quelques photographies, d’illustrés et de cartes postales qu’une publicité bien comprise, et soigneusement entretenue, répandait à foison sur tout le territoire, nous avions constitué un dossier où chacun de nous puisait selon ses besoins et ses humeurs.» (Le carquois vide, 1939, p. 118). Un exemple de caricature est donné à l'occasion des 500 ans de la naissance de Nicolas de Flüe.
La glorification des chefs militaires se retrouve, à un degré encore plus poussé, au sein des populations belligérantes. Après la victoire allemande de Tannenberg, Hindenburg devient un véritable «mythe vivant» dont le visage est reproduit sur des centaines motifs de cartes postales. En France, les figures de Joffre (après le «miracle» de la Marne) puis de Pétain (le «vainqueur» de Verdun) acquièrent de la même façon un statut d'icônes.
Archives fédérales suisses (Berne), E27/13584, Befehle betr. Pressekontrolle. Mitteilungen des Pressebüros Armeestab an die Presse, 1914-1916.
General Ulrich Wille: Vorbild den einen – Feinbild der anderen, Hans Rudolf Fuhrer et Paul Meinrad Strässle (dir.), Zurich, Verlag NZZ, 2003.
MEIENBERG Niklaus, Le délire général. L’armée suisse sous influence, Genève, Zoé, 1988.
SPRECHER Daniel, « Die Generalswahl vom 3. August 1914 », in Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, 52, 2002, pp. 163–193.
General Ulrich Wille: Vorbild den einen – Feinbild der anderen, Hans Rudolf Fuhrer et Paul Meinrad Strässle (dir.), Zurich, Verlag NZZ, 2003.
MEIENBERG Niklaus, Le délire général. L’armée suisse sous influence, Genève, Zoé, 1988.
SPRECHER Daniel, « Die Generalswahl vom 3. August 1914 », in Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, 52, 2002, pp. 163–193.
3
Durant le premier mois du conflit, l’armée allemande effectue une percée significative sur le front ouest. Elle envahit la Belgique et s’attaque au nord de la France. Pris au cœur de cette guerre de mouvements, la cathédrale de Reims est bombardée le 3 septembre 1914 par l’armée allemande, peu avant son entrée dans la ville. Reims ayant été reprise par l’armée française, les bombardements reprennent le 14. Le 19 septembre, un important incendie détruit une partie de l'édifice. Cette carte postale expose les stigmates de cette destruction. La légende est sobre, laissant s’exprimer la violence de l’image.
Témoin de la destruction, le reporter Albert Londres écrit : «Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. […] Artistes défunts qui aviez infusé votre foi en ces pierres, vous voilà disparus. […] La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie.» Les photographies de la destruction constituent alors des témoignages en apparence irréfutables. Ces images sont diffusées massivement par l’Entente auprès des pays neutres, choqués par la destruction d’un tel symbole religieux. Cette carte postale, bilingue français-anglais, en est l’un des vecteurs.
Témoin de la destruction, le reporter Albert Londres écrit : «Du plomb, du plomb en lingots biscornus. La toiture disparue laisse les voûtes à nu. […] Artistes défunts qui aviez infusé votre foi en ces pierres, vous voilà disparus. […] La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie.» Les photographies de la destruction constituent alors des témoignages en apparence irréfutables. Ces images sont diffusées massivement par l’Entente auprès des pays neutres, choqués par la destruction d’un tel symbole religieux. Cette carte postale, bilingue français-anglais, en est l’un des vecteurs.
Cette image représente un réquisitoire moral contre l’Allemagne. Pour la propagande française, la cathédrale de Reims devient l’un des symboles de la «barbarie allemande», qui ne respecterait rien, pas même la religion. Editée par une maison genevoise, une autre carte postale représentant la destruction de la cathédrale légende d’ailleurs ironiquement : «La civilisation allemande passe…» En Suisse, cette carte est saisie par une autorité militaire très consciencieuse, suite à une dénonciation du consulat allemand de Zurich.
En Suisse romande aussi, l’indignation est grande suite à la destruction. Le 29 septembre 1914, la Tribune de Genève publie une protestation de 120 artistes et intellectuels, parmi lesquels plusieurs figures de premier plan, comme le journaliste Georges Wagnière, le professeur Paul Seippel, le musicien Emile Jaques-Dalcroze et le peintre Ferdinand Hodler. Ils se disent «violemment émus par l’attentat injustifié contre la cathédrale de Reims, survenant après l’incendie volontaire des richesses historiques et scientifiques de Louvain.» Les signataires «réprouvent de toutes leurs forces un acte de barbarie qui atteint l’humanité entière dans un des plus nobles témoins de sa grandeur morale et artistique.» Cette désapprobation ne passe pas en Allemagne. Le peintre Hodler se trouve au cœur de la polémique. Des tableaux du grand maître genevois sont notamment retirés à Iena.
Une guerre mêlant information et propagande s’ouvre autour du bombardement de la cathédrale de Reims. Au début 1915, les Cahiers vaudois, une revue artistique, se lancent dans la mêlée. Consacré aux affaires de Louvain et Reims, un double volume est soutenu directement par la France. L’Allemagne riposte par son Ministère de la guerre qui édite une brochure officielle consacrée au bombardement. Celui-ci y est justifié par la présence de postes d’observation dans les tours.
Il s’agit aussi d’une guerre d’images. Si la presse romande propose des photographies de destruction, certains organes alémaniques publient des illustrations de la cathédrale intacte, à l’instar des Blätter vom Krieg, un illustré bernois créé au début du conflit. Ces informations contradictoires contribuent à creuser le «fossé» culturel qui sépare alors les presses alémaniques et romandes.
En Suisse romande aussi, l’indignation est grande suite à la destruction. Le 29 septembre 1914, la Tribune de Genève publie une protestation de 120 artistes et intellectuels, parmi lesquels plusieurs figures de premier plan, comme le journaliste Georges Wagnière, le professeur Paul Seippel, le musicien Emile Jaques-Dalcroze et le peintre Ferdinand Hodler. Ils se disent «violemment émus par l’attentat injustifié contre la cathédrale de Reims, survenant après l’incendie volontaire des richesses historiques et scientifiques de Louvain.» Les signataires «réprouvent de toutes leurs forces un acte de barbarie qui atteint l’humanité entière dans un des plus nobles témoins de sa grandeur morale et artistique.» Cette désapprobation ne passe pas en Allemagne. Le peintre Hodler se trouve au cœur de la polémique. Des tableaux du grand maître genevois sont notamment retirés à Iena.
Une guerre mêlant information et propagande s’ouvre autour du bombardement de la cathédrale de Reims. Au début 1915, les Cahiers vaudois, une revue artistique, se lancent dans la mêlée. Consacré aux affaires de Louvain et Reims, un double volume est soutenu directement par la France. L’Allemagne riposte par son Ministère de la guerre qui édite une brochure officielle consacrée au bombardement. Celui-ci y est justifié par la présence de postes d’observation dans les tours.
Il s’agit aussi d’une guerre d’images. Si la presse romande propose des photographies de destruction, certains organes alémaniques publient des illustrations de la cathédrale intacte, à l’instar des Blätter vom Krieg, un illustré bernois créé au début du conflit. Ces informations contradictoires contribuent à creuser le «fossé» culturel qui sépare alors les presses alémaniques et romandes.
DANCHIN Emmanuelle, « Destruction du patrimoine et figure du soldat allemand dans les cartes postales de la Grande Guerre », in Revue de civilisation contemporaine Europe/Amériques, n° 10, 2011.
Dessin de la cathédrale de Reims en flammes par Emile Boussu, 1914 (site « L’histoire par l’image »).
MINISTERE DE LA GUERRE, Le bombardement de la cathédrale de Reims, Berlin, G. Reimer, 1915.
LONDRES Albert, « L’agonie de la basilique de Reims », Le Matin, 29 septembre 1914.
Louvain…, Reims : pendant la guerre, deux volumes des Cahiers vaudois, Lausanne, C. Tarin, 1914-1915.
Reims 14-18. De la guerre à la paix, Jean-François Boulanger et al., Strasbourg, La Nuée bleu, 2013.
Dessin de la cathédrale de Reims en flammes par Emile Boussu, 1914 (site « L’histoire par l’image »).
MINISTERE DE LA GUERRE, Le bombardement de la cathédrale de Reims, Berlin, G. Reimer, 1915.
LONDRES Albert, « L’agonie de la basilique de Reims », Le Matin, 29 septembre 1914.
Louvain…, Reims : pendant la guerre, deux volumes des Cahiers vaudois, Lausanne, C. Tarin, 1914-1915.
Reims 14-18. De la guerre à la paix, Jean-François Boulanger et al., Strasbourg, La Nuée bleu, 2013.
4
En 1915, le peintre neuchâtelois Maurice Mathey (1878-1975) réalise cette carte postale «officielle» dans le cadre des commémorations du 600ème anniversaire de la bataille de Morgarten. Il représente un épisode légendaire de cette embuscade menée le 15 novembre 1315 par les Schwytzois contre les troupes des Habsbourg. Figure emblématique du «peuple» suisse, un paysan, armé de sa seule force, s’apprête à lâcher une lourde pierre sur les troupes autrichiennes en contrebas, prises au piège du verrou de la vallée de Morgarten. On distingue une partie de l’Ägerisee sur le bas gauche de la carte.
En novembre 1915, cette carte est vendue au profit du comité romand de la Journée uranaise, venant en aide à un canton dont les finances sont aux abois. Cinq millions de francs viennent d’être accordé en prêt par la Confédération au canton d’Uri. Elle est tirée à 50'000 exemplaires, tout comme une seconde carte illustrée, œuvre du peintre bâlois Burkhard Mangold. Rédigée par Bernard de Cérenville, une brochure historique célébrant la victoire de 1315 est également éditée. Le président de la Société d’histoire de Suisse romande y rappelle aux «Suisses du XXème siècle» l’«ardent patriotisme», l’«esprit de sacrifice», la «discipline», le «courage» et le «sens politique avisé» des combattants de 1315. La levée de fonds est un succès et les cartes postales doivent être réimprimées. 91'000 francs seront finalement récoltés par le comité romand, ce qui correspondrait, toutes proportions gardées, à plus de 800'000 francs actuels.
En novembre 1915, cette carte est vendue au profit du comité romand de la Journée uranaise, venant en aide à un canton dont les finances sont aux abois. Cinq millions de francs viennent d’être accordé en prêt par la Confédération au canton d’Uri. Elle est tirée à 50'000 exemplaires, tout comme une seconde carte illustrée, œuvre du peintre bâlois Burkhard Mangold. Rédigée par Bernard de Cérenville, une brochure historique célébrant la victoire de 1315 est également éditée. Le président de la Société d’histoire de Suisse romande y rappelle aux «Suisses du XXème siècle» l’«ardent patriotisme», l’«esprit de sacrifice», la «discipline», le «courage» et le «sens politique avisé» des combattants de 1315. La levée de fonds est un succès et les cartes postales doivent être réimprimées. 91'000 francs seront finalement récoltés par le comité romand, ce qui correspondrait, toutes proportions gardées, à plus de 800'000 francs actuels.
Scellant militairement l’alliance entre les trois cantons primitifs, la bataille de Morgarten fait partie des mythes fondateurs de la nation helvétique. Son 600ème anniversaire, le 15 novembre 1915, est une occasion en or pour les autorités de célébrer la volonté d’indépendance armée du pays. En cette période de guerre et de tensions entre les communautés linguistiques, cette fête patriotique permet d’instrumentaliser un conflit antérieur à des fins de réconciliation nationale. Au printemps 1917, le 500ème anniversaire de la naissance de Nicolas de Flüe donnera lieu à une mobilisation patriotique similaire. En ces temps troublés, la figure pacificatrice de l’ermite de Ranft devient le saint protecteur de la neutralité : la première biographie de Flüe n’est-elle pas écrite en 1917 par l’archiviste d’Obwald ? Sur le marché des cartes postales, les fêtes patriotiques représentent des moments forts de production. Outre le rappel des figures légendaires du passé, les éditeurs publient un grand nombre de cartes commémoratives à l’occasion de la Fête nationale du 1er août.
Pour en revenir à la célébration de Morgarten en novembre 1915, deux jours de fête sont organisés à Schwytz, en présence des Conseillers fédéraux Guiseppe Motta et Felix Calonder et du général Ulrich Wille. Au cours de son discours, Motta rappelle les actions «héroïques» des Waldstätten contre la mainmise des Habsbourg. Le président de la Confédération en profite pour tirer un parallèle avec les événements contemporains, appelant les citoyens à ne pas se laisser embrigader dans la spirale des haines étrangères, de peur de perdre une liberté difficilement acquise : «Le devoir de tout Suisse, selon moi, est d’éviter dans la mesure du possible tout ce qui divise et déchire pour rechercher au contraire tout ce qui unit et guérit.» Ce discours unificateur de Motta tente de combler le «fossé» qui s’est ouvert, symboliquement, entre une partie des populations alémanique et latine.
Pour la troupe, la journée du 15 novembre 1915 est fériée. Dans les écoles, une heure matinale est consacrée à l’histoire de la bataille, suivi d’une après-midi de congé. En parallèle, l’état-major helvétique lance le premier volume d’un important projet littéraire, l’Histoire militaire de la Suisse, qui se poursuivra jusqu’en 1925.
Cette carte du Comité romand de la Journée uranaise souligne qu’une lutte de légitimité patriotique s’est engagée autour de cette célébration de Morgarten. Les élites romandes ne comptaient pas rester en marge de la fête : un comité formé de personnalités au profil francophile affirmé (Gustave Ador, Philippe Godet, Léon Froidevaux, Edouard Secretan…) engage alors une action de collecte en faveur du canton d’Uri. « Nous, Suisse romands, montrons à nos frères des vallées d’Uri que, parmi les derniers venus dans l’alliance, nous n’avons pas oublié ce qu’Uri a été pour nous et ce qu’il symbolise encore dans la Confédération : la liberté ! […] En acclamant le 15 novembre 1315, comment ne pas acclamer Uri ? » écrivent les initiants.
Il faut préciser que l’utilisation commémorative de la bataille de Morgarten est récente. Le tir de Morgarten n’a été créé qu’en 1912. La Grande Guerre lui donne une nouvelle ampleur symbolique. Le souvenir mobilisateur de Morgarten sera d’ailleurs réactivé à l’orée de la Deuxième Guerre mondiale. La grande cérémonie de Sattel est organisée en 1939, avant qu’un film, Le landamman Stauffacher, ne soit consacré en 1941 au meneur légendaire des Waldstätten à Morgarten. Issue d’une initiative privée, cette œuvre s’inscrit alors dans le mouvement de Défense nationale spirituelle, dont les germes ont été semés durant la Première Guerre mondiale.
Pour en revenir à la célébration de Morgarten en novembre 1915, deux jours de fête sont organisés à Schwytz, en présence des Conseillers fédéraux Guiseppe Motta et Felix Calonder et du général Ulrich Wille. Au cours de son discours, Motta rappelle les actions «héroïques» des Waldstätten contre la mainmise des Habsbourg. Le président de la Confédération en profite pour tirer un parallèle avec les événements contemporains, appelant les citoyens à ne pas se laisser embrigader dans la spirale des haines étrangères, de peur de perdre une liberté difficilement acquise : «Le devoir de tout Suisse, selon moi, est d’éviter dans la mesure du possible tout ce qui divise et déchire pour rechercher au contraire tout ce qui unit et guérit.» Ce discours unificateur de Motta tente de combler le «fossé» qui s’est ouvert, symboliquement, entre une partie des populations alémanique et latine.
Pour la troupe, la journée du 15 novembre 1915 est fériée. Dans les écoles, une heure matinale est consacrée à l’histoire de la bataille, suivi d’une après-midi de congé. En parallèle, l’état-major helvétique lance le premier volume d’un important projet littéraire, l’Histoire militaire de la Suisse, qui se poursuivra jusqu’en 1925.
Cette carte du Comité romand de la Journée uranaise souligne qu’une lutte de légitimité patriotique s’est engagée autour de cette célébration de Morgarten. Les élites romandes ne comptaient pas rester en marge de la fête : un comité formé de personnalités au profil francophile affirmé (Gustave Ador, Philippe Godet, Léon Froidevaux, Edouard Secretan…) engage alors une action de collecte en faveur du canton d’Uri. « Nous, Suisse romands, montrons à nos frères des vallées d’Uri que, parmi les derniers venus dans l’alliance, nous n’avons pas oublié ce qu’Uri a été pour nous et ce qu’il symbolise encore dans la Confédération : la liberté ! […] En acclamant le 15 novembre 1315, comment ne pas acclamer Uri ? » écrivent les initiants.
Il faut préciser que l’utilisation commémorative de la bataille de Morgarten est récente. Le tir de Morgarten n’a été créé qu’en 1912. La Grande Guerre lui donne une nouvelle ampleur symbolique. Le souvenir mobilisateur de Morgarten sera d’ailleurs réactivé à l’orée de la Deuxième Guerre mondiale. La grande cérémonie de Sattel est organisée en 1939, avant qu’un film, Le landamman Stauffacher, ne soit consacré en 1941 au meneur légendaire des Waldstätten à Morgarten. Issue d’une initiative privée, cette œuvre s’inscrit alors dans le mouvement de Défense nationale spirituelle, dont les germes ont été semés durant la Première Guerre mondiale.
ANDERHALDEN Werner, Mehr Stolz Ihr Schweizer! Gedanken eines Eidgenossen am 500. Geburtstage von Niklaus von der Flüe, Zurich, Orell Füssli, 1917.
DE CERENVILLE Bernard, Morgarten (15 novembre 1315), précédé d’un poème inédit de G. de Reynold « Notre liberté », Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1915.
DURRER Robert, Bruder Klaus: die ältesten Quellen über den seligen Nikolaus von Flüe, sein Leben und seinen Einfluss, im Auftrage der h. Regierung des Kantons Unterwalden, Sarnen, L. Ehrli, 1917.
KREIS Georg, « Commémoration de batailles », Dictionnaire historique de la Suisse.
Histoire militaire de la Suisse, publ. sur l’ordre du chef de l’état-major général, Sprecher von Bernegg, 1er cahier, Berne, Commissariat central des guerres, 1915.
Schweizer Illustrierte Zeitung, 27 novembre 1915 (photographies de la manifestation officielle à Schwytz).
WIGET Josef, « Guerre de Morgarten », Dictionnaire historique de la Suisse.
DE CERENVILLE Bernard, Morgarten (15 novembre 1315), précédé d’un poème inédit de G. de Reynold « Notre liberté », Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1915.
DURRER Robert, Bruder Klaus: die ältesten Quellen über den seligen Nikolaus von Flüe, sein Leben und seinen Einfluss, im Auftrage der h. Regierung des Kantons Unterwalden, Sarnen, L. Ehrli, 1917.
KREIS Georg, « Commémoration de batailles », Dictionnaire historique de la Suisse.
Histoire militaire de la Suisse, publ. sur l’ordre du chef de l’état-major général, Sprecher von Bernegg, 1er cahier, Berne, Commissariat central des guerres, 1915.
Schweizer Illustrierte Zeitung, 27 novembre 1915 (photographies de la manifestation officielle à Schwytz).
WIGET Josef, « Guerre de Morgarten », Dictionnaire historique de la Suisse.
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Cette carte postale lausannoise relie la jeunesse féminine romande au combat mené par la République française. L’illustrateur joue sur les trois couleurs (bleu, blanc, rouge) de leurs robes de printemps. Suggéré visuellement, le message politique est confirmé par la légende, puisque leurs toilettes sont qualifiées de «conquérantes». Ces trois jeunes femmes sont représentées dans une nature luxuriante et printanière. Cet environnement évoque une ambiance optimiste, qui se retrouve dans le sourire des trois Suissesses. Leur esprit de corps rappelle dans le même temps le mythe fondateur des Trois Confédérés. Au loin vogue un bateau à voile, situant très probablement la scène sur les rives du lac Léman.
Cette carte postale fait partie d’une série éditée pour la fête de Pâques 1916 par la maison Huguenin à Lausanne. Une annonce publiée dans La Feuille d’Avis de Neuchâtel indique que ces cartes («les plus jolies cartes postales artistiques en 3 couleurs») sont destinées aux «poilus de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Italie, de Russie, etc.» D’autres numéros portent des légendes explicites: «Le serment des Alliés», «Le coq gaulois fait éclore les œufs de la Victoire». Une carte est également destinée aux soldats helvétiques. Son titre («En Suisse, le peuple est souverain») renvoie aux multiples affaires qui secouent le Palais fédéral. Politique extérieure et politique intérieure sont étroitement mêlées dans le contexte troublé de la guerre. En Suisse romande, l’adhésion morale au combat de l’Entente est ainsi bien souvent doublée d’un rejet des autorités fédérales, jugées soumises au diktat des Empires centraux.
Cette carte postale fait partie d’une série éditée pour la fête de Pâques 1916 par la maison Huguenin à Lausanne. Une annonce publiée dans La Feuille d’Avis de Neuchâtel indique que ces cartes («les plus jolies cartes postales artistiques en 3 couleurs») sont destinées aux «poilus de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Italie, de Russie, etc.» D’autres numéros portent des légendes explicites: «Le serment des Alliés», «Le coq gaulois fait éclore les œufs de la Victoire». Une carte est également destinée aux soldats helvétiques. Son titre («En Suisse, le peuple est souverain») renvoie aux multiples affaires qui secouent le Palais fédéral. Politique extérieure et politique intérieure sont étroitement mêlées dans le contexte troublé de la guerre. En Suisse romande, l’adhésion morale au combat de l’Entente est ainsi bien souvent doublée d’un rejet des autorités fédérales, jugées soumises au diktat des Empires centraux.
Lorsque paraît cette carte, l’armée française est engagée dans la bataille de Verdun, l’une des plus terribles de cette Grande Guerre. Une partie importante de l’opinion romande fait alors corps avec la volonté de défense des forces françaises. Dès le début du conflit, des voix romandes se sont élevées en force pour défendre le combat mené par la France. Le 20 août 1914, le professeur Ernest Bovet, un Romand établi à Zurich, relevait l’effroi que provoquait en lui l’«abîme» qui se creusait entre la Suisse alémanique et la Suisse latine. Exilé à Vevey, le grand écrivain français Romain Rolland notait au même moment: «toute la Suisse française est enragée contre les Allemands. […] En revanche, le peuple et la petite bourgeoisie de Suisse allemande sont pour les Allemands.»
Ces propos méritent d’être nuancés et les métaphores de l'«abîme» ou du «fossé» intérieur ne peuvent cacher la multiplicité des opinions composant alors chaque champ linguistique. Il n’empêche que l’opinion romande reste, tout au long de la guerre, fortement imprégnée par des sentiments francophiles et germanophobes. Ces derniers s’expriment de multiples façons, que ce soit par le biais de la presse, des revues, de la littérature ou, comme ici, des images. Le champ intellectuel romand interagit fortement avec les «cultures de guerre» des forces de l’Entente. La contamination semble presque naturelle et la propagande institutionnelle française mobilise ainsi facilement des relais indigènes pour faire passer ses messages politiques. La maison d’édition Payot à Lausanne édite un nombre impressionnant de brochures francophiles; des conférences d’un comité «franco-romand» célèbrent à Lausanne les «liens» de parenté culturelle des deux pays; la Tribune de Genève est vendue à des investisseurs français couvrant les intérêts du Quai d’Orsay...
A la fin de l’année 1916, André Oltramare porte un jugement sans appel sur cet état de fait. Le maître de latin genevois considère que la presse romande a montré «un zèle excessif en faveur des Alliés ; je dis "excessif" parce qu’il compromettait la cause même qu’elle voulait servir. Nos journaux passaient pour les organes les plus orthodoxes de l’Entente; plus "Alliés" que les Alliés, ils avaient cette discipline intérieure qu’on recommande tant pour remplacer le drill. Jamais un de leurs articles n’eût mérité les coups de ciseaux d’une censure franco-anglaise. Ce servage volontaire devait nécessairement enlever toute autorité aux jugements de notre presse.»
Ces propos méritent d’être nuancés et les métaphores de l'«abîme» ou du «fossé» intérieur ne peuvent cacher la multiplicité des opinions composant alors chaque champ linguistique. Il n’empêche que l’opinion romande reste, tout au long de la guerre, fortement imprégnée par des sentiments francophiles et germanophobes. Ces derniers s’expriment de multiples façons, que ce soit par le biais de la presse, des revues, de la littérature ou, comme ici, des images. Le champ intellectuel romand interagit fortement avec les «cultures de guerre» des forces de l’Entente. La contamination semble presque naturelle et la propagande institutionnelle française mobilise ainsi facilement des relais indigènes pour faire passer ses messages politiques. La maison d’édition Payot à Lausanne édite un nombre impressionnant de brochures francophiles; des conférences d’un comité «franco-romand» célèbrent à Lausanne les «liens» de parenté culturelle des deux pays; la Tribune de Genève est vendue à des investisseurs français couvrant les intérêts du Quai d’Orsay...
A la fin de l’année 1916, André Oltramare porte un jugement sans appel sur cet état de fait. Le maître de latin genevois considère que la presse romande a montré «un zèle excessif en faveur des Alliés ; je dis "excessif" parce qu’il compromettait la cause même qu’elle voulait servir. Nos journaux passaient pour les organes les plus orthodoxes de l’Entente; plus "Alliés" que les Alliés, ils avaient cette discipline intérieure qu’on recommande tant pour remplacer le drill. Jamais un de leurs articles n’eût mérité les coups de ciseaux d’une censure franco-anglaise. Ce servage volontaire devait nécessairement enlever toute autorité aux jugements de notre presse.»
BONGARD Pascal, L’«autre guerre». Intellectuels et propagande française en Suisse pendant la Grande Guerre (1914-1918), Fribourg, mémoire de licence, 1996.
Feuille d'Avis de Neuchâtel, 3 avril 1916.
Gazette de Lausanne, « Le lien franco-romand », 31 octobre 1915.
MONTANT Jean-Claude, La propagande extérieure de la France pendant la Première Guerre mondiale: l’exemple de quelques neutres européens, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1988.
OLTRAMARE André, « L’indépendance de notre presse (1914-1916) », Opinions suisses, Genève : Sonor, 1916, pp. 3-4.
ROLLAND Romain, Journal des années de guerre, Paris, A. Michel, 1952, (entrée du 16 août 1914), p. 37.
Feuille d'Avis de Neuchâtel, 3 avril 1916.
Gazette de Lausanne, « Le lien franco-romand », 31 octobre 1915.
MONTANT Jean-Claude, La propagande extérieure de la France pendant la Première Guerre mondiale: l’exemple de quelques neutres européens, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1988.
OLTRAMARE André, « L’indépendance de notre presse (1914-1916) », Opinions suisses, Genève : Sonor, 1916, pp. 3-4.
ROLLAND Romain, Journal des années de guerre, Paris, A. Michel, 1952, (entrée du 16 août 1914), p. 37.
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Située à la frontière franco-belge, Lille est déclarée ville ouverte dès le 1er août 1914 et abandonnée par l’armée française. Après la bataille de la Marne, l’installation du front occidental produit une « course à la mer » vers le Nord, car les armées tentent de se contourner. Au début du mois d’octobre 1914, Lille devient ainsi le cœur d’une bataille entre les forces allemandes et françaises. Les bombardements allemands sont intensifs, et certaines bombes sont lâchées par des zeppelins. Lille capitule après deux semaines de combat. Cette carte illustrée se présente comme un document historique de la victoire allemande. Au verso figure l’inscription (en allemand dans le texte original): «Lille, conquise le 13 octobre 1914 par le général von Kluck». Le portrait de ce dernier est ajouté à côté de la légende.
En France, la capitulation de Lille est fortement critiquée, car l’abandon de la ville résulte d’un choix conscient de l’état-major et des autorités. Lille sera occupée par les troupes allemandes jusqu’en octobre 1918.
En France, la capitulation de Lille est fortement critiquée, car l’abandon de la ville résulte d’un choix conscient de l’état-major et des autorités. Lille sera occupée par les troupes allemandes jusqu’en octobre 1918.
Cette carte postale se présente comme une représentation fidèle de la réalité des combats dans la ville de Lille. Au début de la guerre, les photographies de bataille sont totalement inexistantes. Or les lectorats des pays belligérants et neutres sont extrêmement demandeurs d’images et veulent vivre au plus près des combats. La peinture militaire est alors le seul vecteur qui donne à voir la guerre. Des artistes accompagnent les armées pour la documenter, et surtout l’idéaliser. Dans ces premiers mois, l’imaginaire de cette guerre de mouvement est chargé d’assauts héroïques et de corps à corps chevaleresques. Dans cette scène d’affrontement exemplaire, la guerre est embellie par le lyrisme du peintre. Cette image d’Epinal est caractéristique des premiers moments du conflit. Au cours du conflit, un changement significatif intervient et la peinture militaire est progressivement supplantée par les moyens «modernes» de représentations que sont la photographie et le cinématographe.
Si les Français ont bel et bien manqué de munitions et combattus au sabre dans les rues de Lille, cette carte postale présente une vue très unilatérale des événements. Au premier plan, les troupes allemandes avancent de façon parfaitement ordonnée. Leurs tireurs bien embusqués mettent en déroute les cavaliers français, pris au piège de ce décor de flammes et de ruines. Parmi les morts et les blessés, seuls des soldats français, reconnaissables à leur pantalon garance, sont représentés. Quant à l’angle de vue choisi par l’illustrateur, il place l’observateur du côté de l’avancée allemande.
Au verso de cette carte, l’éditeur allemand précise que l’état-major allemand a accepté la circulation de son produit («Militäramtlich genehmigt»). Le message de propagande cherche ainsi à prouver la puissance de feu et l’invincibilité de l’armée allemande. En Suisse, et particulièrement en Suisse alémanique, ce message imprègne fortement les mentalités tout au long du conflit.
Si les Français ont bel et bien manqué de munitions et combattus au sabre dans les rues de Lille, cette carte postale présente une vue très unilatérale des événements. Au premier plan, les troupes allemandes avancent de façon parfaitement ordonnée. Leurs tireurs bien embusqués mettent en déroute les cavaliers français, pris au piège de ce décor de flammes et de ruines. Parmi les morts et les blessés, seuls des soldats français, reconnaissables à leur pantalon garance, sont représentés. Quant à l’angle de vue choisi par l’illustrateur, il place l’observateur du côté de l’avancée allemande.
Au verso de cette carte, l’éditeur allemand précise que l’état-major allemand a accepté la circulation de son produit («Militäramtlich genehmigt»). Le message de propagande cherche ainsi à prouver la puissance de feu et l’invincibilité de l’armée allemande. En Suisse, et particulièrement en Suisse alémanique, ce message imprègne fortement les mentalités tout au long du conflit.
Dire et montrer la guerre, autrement, Paris, Nouveau Monde éd., 2005.
Dossier pédagogique « Lille envahi, 1914-1918 » des Archives départementales du Nord.
GERVEREAU Laurent, Les images qui mentent. Histoire du visuel au XXe siècle, Paris, Seuil, 2000.
Dossier pédagogique « Lille envahi, 1914-1918 » des Archives départementales du Nord.
GERVEREAU Laurent, Les images qui mentent. Histoire du visuel au XXe siècle, Paris, Seuil, 2000.
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Pour Châtillon, actif à Paris lorsqu’il n’est pas mobilisé en Suisse, le succès est au rendez-vous à l’étranger. Ses caricatures du Kaiser sont remarquées et ses contemporains, comme le spécialiste John Grand-Carteret, le comparent à un autre illustrateur célèbre, issu lui aussi d’un pays neutre, le Hollandais Louis Raemaekers. Châtillon est rapidement intégré à l’iconographie française de propagande.
Cette carte postale participe au courant diabolisant la figure de l’empereur. L’ennemi de la France est personnalisé sous les traits d’un Guillaume II maléfique, dont les traits peuvent être ceux d’Attila, de Néron, de l’Antéchrist ou encore ceux d’un boucher sanguinaire, comme le montre cette autre gravure de Châtillon. L’attribution d’un visage à l’adversaire permet à l’Entente de mobiliser les haines autour d’une figure commune. Au final, l’action de Châtillon en Suisse montre que certains neutres ont aussi participé à la création d'une culture visuelle de la haine durant la guerre. L’irradiation culturelle du conflit a provoqué des échanges transfrontaliers entre belligérants et neutres et Châtillon en est l’un des représentants.
Au sein des populations belligérantes, les artistes satiriques de la Grande Guerre ont mis leur potentiel subversif au service de l'effort de guerre. Ils sont entrés en guerre, la «fleur au pinceau» pour reprendre une expression de Laurent Bihl. Ces artistes ont volontairement contribué à la création d'un «bourrage de crâne» systématique, sans que la propagande institutionnelle n’ait réellement besoin d’agir. Certains Suisses, tel Châtillon, ont également participé à ce travail d'endoctrinement.